En 2017, la société a vendu 19 000 tonnes de profilés en aluminium. Ici, l’usine de Tanger. © Aluminium du Maroc |
Neuf mois après avoir triomphé d’une guerre fratricide pour la direction du groupe, son président a livré en mars un nouveau plan stratégique. Au programme : expansion africaine et investissements industriels. Un dernier round avant de passer la main ?
Sur les hauteurs de Tanger, le siège d’Aluminium du Maroc, surplombant le détroit de Gibraltar, n’a jamais connu autant d’agitation que ces deux dernières années, au cours desquelles deux équipes dirigeantes se sont succédé. Représentant chacune un clan de la famille El Alami, celles-ci sont à la fois héritières et actionnaires de ce groupe spécialisé dans la conception et la fabrication de profilés en alliages d’aluminium.
Avant de reprendre son fauteuil de patron, le 29 juin 2017, Abdelouahed El Alami (84 ans, surnommé Douah dans le milieu des affaires) a été mis un an sur la touche par son frère et le fils de ce dernier, Abdeslam. « Il y avait des divergences au niveau des orientations stratégiques du groupe certes, mais l’éviction de Douah et son remplacement par le directeur général Jawad Sqalli ont constitué une vraie surprise », confirme un banquier d’affaires, bon connaisseur du groupe.
Montée au capital
La guerre fratricide est alors étalée sur la place publique et fait l’objet de multiples communiqués et de conférences de presse. Mais c’est finalement sans bruit que le président (fonction occupée depuis 1987 et la mort du père et fondateur, Abdelaziz) finit par retrouver sa place. « Le jour où il a été poussé vers la sortie, Douah a entamé une montée au capital de l’entreprise pour avoir le plus de voix possible. Il a été aidé par les actionnaires historiques qui avaient intérêt à ce que le patriarche revienne à la tête du groupe », raconte ce banquier d’affaires.
En plus de son ami, l’homme d’affaires Hamza El Ayoubi, Abdelouahed El Alami a pu compter sur l’entreprise espagnole Alucoil, actionnaire historique, qui a sensiblement renforcé sa participation dans le capital (elle détient 7,32 % actuellement) entre 2016 et 2017.
Douah est entré au conseil d’administration du 29 juin 2017 comme simple actionnaire pour en ressortir dans les habits du président, prêt à aller au charbon. En bon timonier, le nouveau président a retrouvé son conseil d’administration à la fin du mois de mars pour exposer la vision et les ambitions nouvelles du groupe, coté à la Bourse de Casablanca depuis 1998. Pour faire face à un marché interne qui, selon les analystes, devrait stagner dans les prochaines années, Aluminium du Maroc souhaite accélérer au sud du Sahara, grâce à sa filiale ALM Africa.
Nous avons comme projet de nous implanter durablement en Afrique de l’Ouest, via des partenariats avec des opérateurs locaux de premier plan, précise Douah El Alami
Le dynamisme du marché de la construction dans le royaume influe terriblement sur le chiffre d’affaires du groupe, qui a atteint 1,05 milliard de dirhams (93 millions d’euros) au titre de l’exercice 2017. Cette forte corrélation ne rassure pas le management. Grandir en dehors des frontières du pays devient incontournable pour le développement du groupe qui, au Maroc, travaille à la fois pour les secteurs de l’immobilier, de l’hôtellerie et de l’industrie.
« Notre ambition va plus loin que les simples opérations d’exportation. Nous avons comme projet de nous implanter durablement en Afrique de l’Ouest, via des partenariats avec des opérateurs locaux de premier plan », précise Douah El Alami, qui avait mis de côté une carrière d’avocat pour façonner le groupe. Une première implantation s’est faite en 2014 au Sénégal, à travers la filiale ALM, qui gère une plateforme de distribution. Le fabricant de profilés en aluminium annoncera dans les prochains jours une nouvelle implantation en Côte d’Ivoire. Son fils Sharif, vice-président du groupe, multiplie les allers-retours vers Abidjan pour ficeler les contrats avec ses partenaires.
« Nous n’allons pas seulement investir dans la distribution mais aussi dans le traitement de surface et l’extrusion de profilés », précise le président. Autrement dit, une petite unité industrielle devrait voir le jour en 2018 ou en 2019. « Nous espérons réaliser 15 % de notre chiffre d’affaires en Afrique à l’horizon 2020 », ambitionne Douah El Alami.
L’Europe comme débouché
L’Europe est l’autre débouché sur lequel le leader marocain a misé ces dernières années, au point que le Vieux Continent représente désormais 35 % de son chiffre d’affaires. En 2017, le groupe a vendu 19 000 tonnes de profilés en aluminium, et une progression de 6 % est attendue d’ici à la fin de l’exercice actuel. « Nous arrivons quasiment à saturation de nos capacités industrielles, et nous allons investir dans une nouvelle unité industrielle en 2018 pour qu’elle soit opérationnelle dès le premier trimestre de 2019 », prévoit l’actuel président d’Aluminium du Maroc.
Des orientations stratégiques qui ont été validées par un conseil d’administration remanié. « Pour s’offrir une présidence sereine, Douah a renforcé la gouvernance en veillant à garder une confortable majorité », livre notre banquier. Le nombre de sièges au conseil d’administration est passé de sept à onze, et des indépendants ont fait leur entrée. Des personnalités du petit cercle des affaires ont été cooptées, à l’image du PDG du CIH, Ahmed Rahhou, du directeur général de Bank of Africa, Amine Bouabid, ou encore de l’associée directrice exécutive de CFG Bank, Hind Dinia. « Son frère et son neveu, qui étaient perçus comme des putschistes, ont été maintenus dans le conseil d’administration, mais ils n’ont plus le même poids qu’avant », ajoute notre source.
Sauf coup de théâtre, Abdelouahed devrait à terme confier l’avenir d’Aluminium du Maroc à son fils Sharif. L’histoire retiendra que malgré de multiples rebondissements, qui ont nourri les discussions des salons feutrés casablancais et tangérois, le conflit familial n’aura jamais affecté les performances financières du groupe. Son résultat net s’élève à 58 millions de dirhams. Une fierté pour Douah, qui y voit surtout le résultat du travail de ses 5 000 salariés.
L’hôtel de la discorde sera livré cette année
L’un des sujets de la discorde fraternelle a été le projet de l’hôtel pharaonique que construit le groupe à Marrakech en partenariat avec le géant indien Oberoi, et qui aurait dû être livré à la fin de 2016. Mohammed et son fils Abdeslam, « conspirateurs de la mutinerie » comme les a qualifiés la presse, n’approuvaient pas la diversification des activités du groupe, qui s’intéresse depuis quelques années à l’immobilier et à l’hôtellerie.
Pour le retard cumulé, Douah explique que c’est « l’ancienne équipe dirigeante qui a bloqué le financement des dépassements ». « Il est vrai que l’hôtel est digne des grands palaces du groupe indien Oberoi, mais ce qui fait peur aux actionnaires, c’est le dépassement de 50 % par rapport à ce qui avait été annoncé », avoue ce banquier d’affaires.
Si l’investissement initial était de 330 millions de dirhams (30 millions d’euros), financés à moitié par les banques et à moitié en fonds propres, l’hôtel coûtera finalement 500 millions de dirhams. « C’est totalement justifié en comparaison des standards actuels, et l’ouverture sera possible d’ici à la fin de 2018 », promet le président d’Aluminium du Maroc.
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