Une crise sociale secoue le Nigeria

 Les réformes destinées à juguler le grave dérapage des finances publiques tardent à porter leurs fruits. La hausse du prix des aliments et de l'essence a déclenché des protestations d'ampleur. Vingt et une personnes ont été tuées par les forces de l'ordre.

Une crise sociale secoue le Nigeria


La première économie d'Afrique est secouée par la contestation. Des dizaines de milliers de personnes défilent depuis le début du mois dans plusieurs villes du Nigeria contre l'inflation et la mauvaise gouvernance. « Rien de surprenant, souligne Alex Vines, spécialiste de la région au think tank Chatham House, au vu d'une hausse des prix proche de 40 % en rythme annuel, au plus haut depuis trois décennies ».

Une inflation consécutive à la fois aux coupes dans les subventions et au flottement du naira, la devise nationale, longtemps surévaluée. La fin des subventions au carburant, « objectif clé du gouvernement puisqu'elles n'absorbaient rien de moins qu'un tiers du budget fédéral », souligne l'expert, a ainsi conduit à un triplement du prix de l'essence.

Des mesures inévitables

Ces mesures et bien d'autres décidées par le président Bola Ahmed Tinubu, élu en mai 2023 sur une plate-forme prudemment libérale et anticorruption, « étaient inévitables, estime Alex Vines, pour solder l'héritage de l'hypertrophie du secteur public et du recours à la planche à billets sous le règne du président précédent, Muhammadu Buhari ». Elles n'en sont pas moins douloureuses socialement dans le pays le plus peuplé d'Afrique, où 40 % des 220 millions d'habitants, dont la moitié a moins de 18 ans, survivent avec l'équivalent de moins de 2,5 dollars par jour.

Illustration de la détérioration de la situation alimentaire, l'association Médecins sans frontières a annoncé mercredi une hausse de 40 % d'admissions pour malnutrition d'enfants dans ses dispensaires au premier semestre. Pour ajouter à la migraine des dirigeants, la production pétrolière, dont le Nigeria est le numéro un en Afrique et qui fournit la majorité des recettes budgétaires, s'avère décevante en ce moment.

Le chef de l'Etat a dit, dans un discours dimanche, comprendre « la douleur et la frustration » des manifestants. Tout en appelant la population à laisser aux réformes le temps de porter leurs fruits, notamment en attirant les investisseurs étrangers. Listant les aides sociales aux ménages les plus pauvres proposées pour atténuer le choc, il a appelé à la fin des cortèges. Mais les organisateurs des manifestations, qui se coordonnent sur les réseaux sociaux sans être cornaqués par des partis politiques, comme c'est classique désormais, et qui émulent la contestation déclenchée le mois dernier par une combinaison inflation-hausses d'impôts au Kenya, ont promis de poursuivre la mobilisation.

Des drapeaux russes encore et toujours


Cette dernière semble toutefois faiblir depuis dimanche, sans doute surtout en raison de la répression, qui a fait 21 morts officiellement. La police a affirmé mardi avoir arrêté des centaines d'émeutiers dont un nombre non négligeable arborait des… drapeaux russes, signe d'une possible ingérence de Moscou chez le principal exportateur de pétrole du continent. Le Kremlin est déjà très actif dans les pays à régimes putschistes du Sahel, juste au nord du Nigeria.

La police et l'armée ont, dans une rare déclaration commune, affirmé que des « commanditaires étrangers » cherchaient à ébranler le gouvernement, sans fournir de précisions. Le groupe « Take It Back » qui organise les manifestations dans la capitale, Abuja, a qualifié ces allégations de « simple diversion utilisée par les autorités pour trouver une « raison de réprimer les manifestants ».

Signe de la nervosité des investisseurs sur la capacité de l'exécutif à mener ses réformes, les obligations nigériennes ont dévissé lundi. « Les manifestations pourraient faire dérailler l'agenda réformiste de l'exécutif », estiment Alexander Rozhetskin et Luis Costa, dans une note de la banque Citi, même s'ils estiment que le pays dispose des moyens pour rebondir, en raison à la fois d'un cadre juridique robuste et du dynamisme de sa classe d'entrepreneurs. Alex Vines note aussi que le pouvoir a enregistré quelques succès en matière de lutte contre la corruption, l'autre sujet de préoccupation clé des Nigérians, même si la route est encore longue…

source: lesechos

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