Dans une note d’information adressée le 22 août 2022 au maire de la commune de Ngan’ha, localité de la région de l’Adamaoua devant abriter le barrage de Bini à Warak (75 MW), la société chinoise Sinohydro, le constructeur de cette infrastructure énergétique, annonce sa démobilisation du chantier. « Par la présente note, nous venons respectueusement auprès de votre bienveillante autorité vous informer du déplacement provisoire de notre matériel pour la réalisation des travaux d’aménagement du barrage hydroélectrique de Bini à Warak », annonce le directeur des travaux dans le document auquel Investir au Cameroun a eu accès.
Et le directeur des travaux de Sinohydro de poursuivre : « en effet, conformément à la convention signée entre l’État du Cameroun et notre société, qui prévoyait le lancement des travaux en 2017, nous avons mobilisé un ensemble de matériaux dans le but d’honorer nos engagements contractuels. Cependant, rendu à ce jour, ce matériel déjà presque au terme de sa période normale d’amortissement n’a pas encore été utilisé pour des raisons administratives ne relevant pas de notre responsabilité. Cette situation cause de sérieux préjudices financiers à notre société, et c’est dans l’optique de minimiser ces préjudices que nous avons jugé opportun de redéployer notre matériel sur d’autres chantiers dont nous avons la charge. Toutefois, conformément aux engagements pris par notre société (…), ce matériel sera de nouveau mis à la disposition du projet en temps voulu, pour l’exécution des travaux une fois que toutes les conditions seront réunies pour la reprise des travaux ».
En effet, lancés en grande pompe en 2017, dans le sillage des grands travaux d’infrastructures initiés dans le pays en 2012, les travaux de construction du barrage de Bini à Warak ont été interrompus en 2018. Ceci, juste après la fin des travaux préparatoires d’installation du chantier, d’excavation de la rive gauche et d’ouverture des voies d’accès. Tous ces travaux ont été préfinancés par le constructeur, pour environ 20 milliards de FCFA, selon le gouvernement. À l’origine de l’interruption du chantier au bout de seulement un an de travaux, avait-on appris officiellement, se trouvait le non-paiement par l’État du Cameroun de la prime d’assurances conditionnant le déblocage du prêt de 182 milliards FCFA obtenu auprès de la banque chinoise ICBC.
Pis, en novembre 2019, alors que le Cameroun s’est acquitté de toutes les conditions préalables au déblocage des fonds, pour un montant total de 23 milliards de FCFA, la banque chinoise va purement et simplement suspendre le financement, prenant prétexte de ce que l’État du Cameroun a été en défaut avec une autre banque. Mais, les négociations entre les parties pour la finalisation de ce financement ont repris depuis peu, a annoncé le ministre de l’Eau et de l’Énergie, Gaston Eloundou Essomba, au cours d’un point de presse organisé le 31 mars 2022 à Yaoundé. Pour ramener le financier chinois sur la table des négociations, a-t-on appris, il a fallu mettre en œuvre une opération de lobbying des parlementaires camerounais auprès de leurs homologues chinois.
Mais, dans l’intervalle, la société Sinohydro a démobilisé 75% de son personnel sur le chantier depuis 2019 et se prépare à y retirer son matériel. Ce qui n’est pas de bon augure pour le redémarrage des travaux de cette infrastructure énergétique pourtant très attendue dans les trois régions septentrionales du Cameroun. En effet, le barrage de Bini à Warak permettra de suppléer le barrage de Lagdo, qui nécessite 100 milliards de FCFA pour sa réhabilitation. Pour l’heure, les 72 MW de capacités installées de cet ouvrage énergétique sont souvent réduits de moitié, à cause notamment de l’ensablement du réservoir. Ce qui provoque de grosses perturbations dans la distribution de l’énergie électrique dans les régions de l’Adamaoua, du Nord et de l’Extrême-Nord.
Brice R. Mbodiam